Voilà près de deux mois que je suis arrivé, et il est plus que temps de vous faire partager ce dernier voyage. L’atterissage a été délicat, ceci explique peut être ce « retard ». J’ai choisi de vous raconter cette aventure via quelques anecdotes personnelles et sportives. J’espère que vous aprécierez !
Jour J : Lâchez les chevaux
J’avais pourtant tout mis en œuvre pour partir sereinement. Nourriture, eau, vêtements, préparation du bateau, plan de nav’, tout était prêt. Il ne restait plus qu’à étudier les dernières prévisions pour mettre au point une stratégie de course.
Mais voilà, le vent et la pluie ont décidé de s’inviter au départ de cette grande traversée. 25 noeuds de vent et des grains… pas de quoi se réjouir. Sur les pontons, les mines sont crispées et les prospectives vont bon train au sujet la garde-robe à adopter pour ce départ vent arrière. « Reste prudent, reste prudent… Ne part par trop vite… » me répétais-je…
Sur l’eau, dans l’attente du départ, le mélange des émotions est difficilement descriptible. Fierté, appréhension, envie d’en découdre, impatience… « Départ dans 1 minute ». Je vire, j’abbats. « 30 secondes », je me place, lance le bateau, 15 secondes, j’approche de la ligne, « 5-4-3-2-1 BOOM ». Le spi claque, c’est parti !
Les chevaux sont bel et bien lâchés. A fleur de peau, concentré et terrifié face à l’ampleur de la tâche, je passe la ligne bien placé ; le vent monte, la mer se creuse et je me lance au sprint vers ce marathon marin qui deviendra la plus belle aventure de ma vie… Un moment inoubliable.
J+5h : Une nouvelle course.
Cinq heures de course auront suffit pour en changer son visage. Une vague me prend par l’arrière et me soulève, le bateau est déséquilibré, incontrôlable et part en travers de la vague.
Assis face à la voile je suis impuissant et en une fraction de seconde, le bateau est sur la tranche, les voiles à l’envers et le spi claque dangereusement près de l’anémomètre en tête de mât.
J’ai les genoux dans l’eau, je me retiens aux filières pour ne pas glisser plus. Je comprends que ce qu’il vient de se passer, c’est mon premier « départ à l’abatée » en deux ans de mini. Et il va me coûter cher.
Il me faudra une petite minute pour réaliser ce qu’il m’arrive et trouver le bon moyen de me sortir de cette situation délicate. Une minute durant laquelle mon spi (la voile ronde à l’avant) viendra arracher une partie de mon anémomètre et le rendra inutilisable pour le reste de la course.
La perte de ce capteur réduira les capacités de mon pilote à 75% pour le reste de la course. Je le comprends très vite, hésite à rentrer aux Canaries pour réparer. Mais la fenêtre météo est trop étroite et un arrêt au port n’est pas vraiment envisageable si je veux rester au contact.
« Au final c’est de ta faute ».
On peut toujours invoquer la malchance pour expliquer une avarie ou une contreperf’. Mais l’analyse en profondeur de la situation mène toujours à la même conclusion.
« Au final c’est de ta faute ». Ce départ à l’abatée est la conséquence de deux erreurs, un angle par rapport au vent trop ouvert (165° au lieu de 160°) et une répartition des poids à l’intérieur du bateau mal équilibrée (20kg à tribord plutôt qu’à bâbord). Ces bateaux sont exigeants et lorsque le vent monte, les plus petites erreurs peuvent avoir de lourdes conséquences. C’est ce que je venais d’apprendre seulement quelques heures après le départ.
J+5 : ça tartine !
5 jours au portant à plus de 20 noeuds de vent… ça tartine grave comme qui dirait ! Mais ça me gave un peu, je ne peux pas être à l’attaque autant que je voudrais. Sans pilote fiable, je n’arrive pas à lâcher la barre et les nuits noires m’obligent à réduire la toile pour dormir un peu. Je sais que je perds du terrain sur les copains… Dur !
J+6 : Gestion des stocks
C’est décidé, je change de slip. J’en ai 5 à bord après tout !
J+6 : De la sueur et des larmes.
Il est midi et je viens de passer 4 heures à la barre. A l’attaque depuis 8 h du matin, je suis sous tension. Le vent est fort et la mer croisée. Je décide d’affaler le temps d’une heure pour manger, ranger le bateau, et prendre ma première douche de la course. Une fois propre et organisé à bord, je fais un rapide tour du bateau pour vérifier son état général. Un coup d’œil sur le tableau arrière et je me rends compte que la ferrure de safran tribord (élément du gouvernail) est brisée. Il me faut réparer.
Réparer le gouvernail en mer est une affaire délicate. C’était une de mes grosses craintes au départ de la course. Je m’y étais préparé, mais je n’ai jamais eu à le faire dans de telles conditions de vent et de mer. La manœuvre me prendra 4h30 environ sous un soleil de plomb. Trempé de sueur et épuisé nerveusement je craque à bord du 599, mais fier et soulagé d’avoir surmonté cette épreuve. 3 heures après, mon livre de bord me le confirme… 13 noeuds sous pilote, la réparation tient bon, je suis de nouveau à l’attaque !
J+12 – Entre deux mondes
Cela fait 6 jours que je n’ai plus croisé, ni échangé le moindre mot avec personne. Ma dernière communication était avec Lizzy juste après ma réparation. Sans météo, sans radio, mon ipod m’ayant lâché au 8ème jours de course, plus rien ne me relie à la terre dorénavant. Je vogue entre deux mondes. Je m’impose une routine, me concentre uniquement sur la marche du bateau, élabore des stratégies sur la base de petits indices météorologiques. Les journées passent, je ne me sens pas seul, je prends le temps de regarder derrière moi…
J+13 – 45ème ouest
Deux de mes amies m’ont offert un cadeau chacune au départ de Douarnenez. J’avais résisté à l’envie quotidienne d’ouvrir ces petits paquets. Attendant, allez savoir pourquoi, le 45ème degré ouest. La consigne était la suivante : « offrez moi quelque chose qui me manquera au milieu de l’Atlantique ». Dans le mille ! Une fiole rhum et quelques pages d’amour (ou presque). Le rhum fut but et me fit un bien immense. Le reste aussi…
J+15 – Ballade Irlandaise
Je croiserai enfin la route de Tom, une quarantaine d’heure avant l’arrivée. Nous échangeons à la VHF ; je suis vraiment excité de pouvoir enfin discuter. Il me fait un point classement. Je suis 24ème, lui 23ème à portée de fusil et d’un petit goupe où Vincent est 22ème à une quarantaine de milles devant nous.
Pour lui, c’est mort, il est au fond du trou après un « départ au tas » où il a cru mourir. Tellement traumatisé qu’il ne veux même pas renvoyer son spi. Je lui remonte le moral, lui lis quelques mots d’amour et l’encourage à ne pas laisser tomber. Après 45 min de conversation, je raccroche, renvoie de la toile et pars à l’assaut de mon ami irlandais.
Je suis reboosté à mort, je fais mes petits calculs et comprends que je fais une belle course malgré tout. Je me dis qu’il y a moyen de conserver ma place de 22ème au général. Tom est à un peu plus d’une heure devant moi sur la première étape. Il faut que je le rattrape et le distance suffisamment pour remonter ce retard. A l’attaque donc ! Dans ma tête à ce moment-là, il est hors de question de ne pas finir devant. Et les 40 milles d’avance de Vincent ne me font pas peur non plus.
Dès lors, je ne lâcherai la barre que 2 heures, pour dormir, resterai toilé le plus longtemps possible avec pour seul objectif de finir à fond !
J+16 : Un grain de folie
Dernière nuit, les grains se succèdent. A la barre, je ne veux pas réduire. Je veux faire le trou avec Tom et rattraper Vincent. Un grain, c’est un gros nuage qui passe, une masse énorme et sombre qui en quelques secondes fait grimper l’anémomètre de 15noeuds à 35 nœuds de vent… plus parfois. En fait, on ne sait jamais vraiment à quoi s’attendre.
Cette nuit-là, je me bats avec mes voiles, comme un lion, je ne lâche rien ! Pour me donner du courage, sans comprendre vraiment pourquoi, je hurle les quelques poèmes qui me restent en mémoire. « Demain dès l’aube », « Le dormeur du val », « L’Albatros », « La frégate », « Le loup et l’agneau »… Je suis dans un autre monde, étrange…. Demain je verrai la côte.
J+17 : Feux d’artifice
L’arrivée restera un grand moment. J’ai pris le temps de me changer, mettre mon joli short, sortir les pavillons, soigner les préparatifs. Les zodiacs arrivent, mes parents sont là, mes amis aussi. Je prends mon temps. C’est la fin de l’aventure, je veux en profiter. Je franchis la ligne, claque un feu à main, monte sur le pont et lève les bras au ciel !!! C’est fait… et bien en plus.
Je finirai 22ème de cette étape. Je n’ai pas rattrapé Vincent, mais Henri qui a démâté la nuit dernière, dans un grain justement. Je termine 20ème au général. Récupérant deux places sur cette seconde étape. Le 21ème est à 3 minutes seulement et le 23 ème à 40 … Ma capacité à attaquer et imposer le rythme sur les deux derniers jours n’auront pas été vain ! Génial.
Sur terre, les copains m’accueillent, la fête, le rhum, les femmes… Ivresses…
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Le bateau est maintenant à Lorient. Il cherche propriétaire et moi, je regarde 2019 avec ambition…
Merci à tous d’avoir suivi cette histoire et de m’avoir accompagné. Une fois encore, je n’aurai rien fait sans vous.
Meilleurs vœux pour 2016 et à très bientôt,
V. 599